DE NOS JOURS, SANS ÊTRE RECONNU OFFICIELLEMENT PAR L'ETAT COMME LE PRÉTENDANT AU TRÔNE DU PORTUGAL, LE DUC DE BRAGANCE, QUI CÉLÉBRERA SON ANNIVERSAIRE LE 15 MAI PROCHAIN, EST POURTANT ASSOCIÉ À LA VIE OFFICIELLE DU PAYS, UNE SITUATION SINGULIÈRE QU'IL A COMMENTÉE POUR L'EVENTAIL, VOICI QUELQUES MOIS.
Chef de l'une des plus anciennes dynasties d'Europe, le duc de Bragance occupe une position des plus singulières. En effet, bien que le pays soit une république, Dom Duarte jouit d'une estime unanime tant auprès du peuple que de la classe politique portugaise.
Ses ancêtres ont forgé l'histoire d'un pays qui, longtemps, s'est imposé comme un vaste empire colonial. L'ère monarchique connaîtra une fin abrupte et tragique avec l'assassinat du roi Carlos Ier, de son fils aîné et la révolution de 1910 qui contraint le dernier souverain, Manuel II, et sa mère la reine Amélie à s'expatrier. Laloi d'exil ne sera levée qu'en 1950 et les parents de l'actuel duc de Bragance, Dom Duarte et la princesse Francisca d'Orléans-Bragance, issue du rameau brésilien de la maison, ne pourront regagner le pays qu'en 1952. Après des études en Suisse et au Portugal, Dom Duarte, devenu héritier à la mort de son père en 1976, sert son pays avec constance et passion. En 1995, il a épousé Dona Isabel de Castro Curvelo de Hérédia qui lui a donné trois enfants: Afonso, prince de Beira, né en 1997, Maria-Francisca, née en 1997, et Diniz, duc de Porto, né en 1999. Unanimement apprécié par ses pairs, le duc de Bragance est aussi apparenté à la plupart des familles royales d'Europe. Partie prenante de la vie officielle du pays, sans pour autant être reconnu par l'Etat comme le prétendant à la couronne, il revient sur cette situation singulière.
L'Eventail - Monseigneur, comment pouvez-vous expliquer cette dichotomie ?
Dom Duarte - Je pense que cela provient de l'attitude portugaise faite de tolérance et de pragmatisme. Les gens pensent à la République, par habitude ou par tradition, et donc, pour eux, cela ne vaut pas la peine de changer mais par contre, une famille royale peut s'avérer utile car elle fait partie du paysage historique et elle peut apporter son aide dans certains domaines. De l'extérieur, cela peut sembler curieux mais le Président et le Premier Ministre ont assisté à mon mariage en 1995, je représente parfois le pays et pourtant je n'ai pas vraiment de statut officiel.
- Avez-vous envisagé de vous engager en politique comme le roi Siméon en Bulgarie ?
- Oui, j'y ai pensé, surtout après que le président américain Ronald Reagan me l'ait suggéré. J'avais été invité avec le prince de Liechtenstein à un déjeuner à la Maison Blanche et il était persuadé, d'après les informations dont il disposait, que je pouvais gagner au premier tour. Mais tous les royalistes portugais s'y seraient opposés et beaucoup trouverait cela incohérent. Certains considèrent que le régime républicain ne sert pas bien le pays et donc, ils ne comprendraient pas pourquoi j'essaierais de devenir Président. Si je tente le sort et que j'échoue, je serai fâché aussi bien avec les républicains qu'avec les royalistes !
- Le Président Salazar a-t-il pensé à rétablir la monarchie comme Franco l'a fait en Espagne ?
- Il y a songé mais il lui a manqué le soutien et la vision à long terme. Devenu plus âgé, il voulait absolument tout contrôler, ce qui ne correspond pas vraiment à l'esprit d'une démocratie. Il a perdu la perspective du futur, ce que Franco avait eu, sachant que son régime ne pouvait pas perdurer et que la seule façon de réinstaurer la paix et la stabilité était de choisir le roi. On a pensé que Salazar allait s'impliquer quand il a fait revenir les restes du roi Miguel mais il n'y a pas eu de suite. Mon désaccord avec lui portait sur la politique d'Outre-Mer. Je pensais qu'il fallait démocratiser l'Afrique et développer des élites politiques locales afin de former une sorte de "commonwealth" pour les pays de langue portugaise. En 1972, j'ai établi une liste pour l'élection des députés angolais au parlement portugais. Le Portugal a alors demandé mon expulsion, ce qui était ridicule. Nous aurions pu éviter la catastrophe de 1975.
Mais cela ne vous a pas découragé et vous vous êtes engagé pour l'indépendance du Timor.
- J'ai bien connu le Timor avant le changement de régime. J'y ai passé un mois et j'ai visité tout le territoire. C'était tellement injuste de voir les Indonésiens envahir le territoire qu'il fallait absolument faire quelque chose. J'ai mobilisé le fils du Président Mario Suarez, les dirigeants des syndicats, les partis politiques qui ont appuyé une campagne nationale pour la libération de Timor. J'ai essayé de convaincre les Indonésiens que la communauté internationale n'allait jamais reconnaître cette annexion sauf si les Timorais étaient d'accord. J'ai donc imaginé dans un premier temps que l'Indonésie puisse accorder l'autonomie en incluant le Timor dans une sorte de fédération. La résistance et tous les responsables ont avalisé ma proposition. Quelques années plus tard, j'ai mené les mêmes négociations en Angola pour le territoire du Cabinda, un territoire indépendant occupé par l'Angola, entre le Congo français et le Zaïre. Et plus récemment, je me suis occupé du problème syrien. J'avais rencontré le président El Assad à Londres et avec des appuis au sein de l'opposition et du pouvoir en place, j'ai soumis l'idée d'un gouvernement d'unité nationale. Le parti Baas perdait ses privilèges alors que les autres partis étaient intégrés dans le processus de gouvernement et que le Président poursuivait son mandat pour assurer le bon déroulement du processus. Le Président a accepté, l'opposition démocratique avait marqué un accord de principe. Seule l'opposition islamiste aujourd'hui connectée avec Al Qaïda voulait le pouvoir absolu et total, sans compromis. Ce qui est sans doute le plus grave c'est que l'opposition islamiste fondamentaliste est soutenue par les États-Unis, le Qatar et la Turquie. Beaucoup pensent d'ailleurs que le mouvement Al Qaïda est une création nord-américaine en Afghanistan. Il y a beaucoup de mauvaise foi et d'irresponsabilité.
- Quels sont vos domaines de prédilection au Portugal ?
- Je défends les causes liées à la protection de la nature et du patrimoine car j'ai vraiment une crainte, que les peuples perdent leur âme. Je crois que l'âme d'un peuple s'exprime à travers l'architecture et le paysage. Si on les détruit, on affecte notre mémoire. Beaucoup d'intellectuels et d'architectes sont contre moi. Ils seraient les seuls à comprendre et professent un certain mépris pour le peuple qui, lui, ne comprend pas. C'est un faux élitisme. Avec la fondation Don Manuel II, je mets en place des programmes de développement rural dans les anciens territoires portugais, en Angola ou au Mozambique, en Guinée-Bissau aussi.
- En 1996, vous devenez père pour la première fois, quelle a été votre réaction ?
- J'avoue qu'il m'a fallu du temps pour prendre conscience de la situation. Je me disais souvent...ce n'est pas possible! On a toujours l'impression de manquer d'expérience. Quand les enfants grandissent, on se pose toujours beaucoup de questions, que doit-on faire ? Mais je suis très fier de mes trois enfants qui ont déjà un sens aigu de leurs responsabilités.
- Connaissez-vous la Belgique ?
- Bien entendu ! Je fais partie du Conseil culturel de la Fondation duc d'Arenberg et mon épouse et moi, nous aimons beaucoup Philippe et Mathilde qui sont venus nous voir en Algarve, la reine Fabiola aussi et le roi Albert. J'apprécie aussi les autres cousins belges, Astrid et Laurent avec qui je m'amuse beaucoup.